Le futur de la conscience, conscience du futur

Les architectures connues de la société vacillent : travail, monnaie, hiérarchie et autorité. Quelles sont les prochaines architectures ? Sont elles déjà visibles ? Nous parlerons du travail, de l’individu et du collectif, du pair à pair, du langage et des monnaies. Comment parler d’un point de vue individuel puisque l’individu est lui-même influencé par le collectif construit par des individus ? Comment peut-on s’extraire de la culture dominante pour percevoir et échanger sur de « nouvelles » cultures en construction ?

La transition écologique et énergétique n’est-elle pas avant tout une transition de notre niveau de conscience, individuel et collectif.

Si tout change “en même temps”, aurons nous encore des repères ? quels sont les constantes qui ne changent pas ? comment s’y préparer au mieux ? Une approche holistique est essentielle mais terriblement difficile à concevoir et mettre en œuvre, quels conseils pratiques pour commencer ?

Dans une série d’article, nous échangerons avec une série d’exploratrices et d’explorateurs. Ces personnes travaillent au quotidien certains aspects de notre culture actuelle pour la transcender. Ils sont bien souvent eux mêmes aux frontières des connaissances et s’utilisent pour comprendre les liens intimes et fractales entre le « je » et le « nous ». Peut-on ainsi mieux « se voir » parler ensemble, peut-on échanger sans argent rare, sans structure centrale, avec bienveillance sans compétition ou encore créer des œuvres communes. Ces démarches individuelles pourraient influencer à la fois les individus dans leur singularité et leurs échanges.

La structure d’un collectif détermine fortement sa performance, son adaptabilité, sa capacité à innover. Les choix d’organisation et les processus de décision conditionnent l’activité au quotidien. Quelles seraient les performances pour des groupes industriels qui s’organiseraient de façon radicalement différente ? Au delà, que donnerait un écosystème dans lequel tous les acteurs fonctionneraient de façon décentralisés tout en étant intimement connectés ?

Au moins 12 organisations le font déjà. Elles sont réelles et opèrent dans le monde physique. Celui des composants automobiles, des soins, de l’éducation ou de la production d’énergie. Elles impliquent entre 100 et 40 000 personnes. Ces organisations ne se connaissaient pas, n’ont pas échangé, pourtant elles ont mis en œuvre les mêmes solutions opérationnelles. Frédéric Laloux a étudié ces organisations dans son livre Reinventing Organizations.

Que ce soit pour soigner des personnes, produire de l’électricité, du jus de tomate, des composants automobile ou éduquer des enfants, elles fonctionnent par équipe de moins de 20 personnes (ce n’est pas un hasard), elles s’auto-organisent pour toutes les décisions totalement décentralisées (même pour les achats, l’embauche). Elles n’ont plus d’organigramme, de fiche de poste, ni de structure hiérarchique, elles n’ont plus de suivi qualité, ni d’indicateurs pour qualifier la production. Les principes de bases et la raison d’être déterminent tout le reste, le design de l’organisation met structurellement toutes les personnes en encapacitation. Les conséquences de ce point de départ se diffusent dans le fonctionnement, dans toutes les façons de faire et d’être. Pour mettre en oeuvre de telles organisations, F.Laloux indique :

Une organisation ne peut pas évoluer au delà du niveau de développement de son leader […] Un grand nombre de psychologue, philosophe et anthropologue ont analysé l’évolution du niveau de conscience des organisations collectives au cours de notre histoire. Ils ont trouvé que depuis environ 100 000 ans, nous sommes passés par plusieurs niveaux successifs. A chaque niveau, nous avons fait un saut dans nos capacités cognitives, morales et psychologiques pour comprendre et agir dans notre environnement. Il y a un aspect important que les chercheurs ont sous-estimé: à chaque passage à un niveau supérieur, nous avons inventé de nouvelles façons de collaborer, de nouveaux modèles d’organisations. » Comment ces modes d’organisation modifient-ils notre conscience ?

Nous sommes dans les années 1950. Sur des échelles de temps géologiques, Teilhard de Chardin positionne l’Homme à la pointe de l’évolution du vivant. Son cortex, son système nerveux central sont tellement supérieurs aux autres espèces qu’il ne peut pas s’arrêter là. Il réussit alors, par la puissance du raisonnement et de l’observation des espèces vivantes, à nous guider dans notre présent et notre futur. Après la biosphère, mince sphère du vivant accrochée au minérale, l’espèce humaine verra apparaître une noosphère, « sphère de l’esprit » encore plus fine reliant les hommes et les consciences. Teilhard était convaincu qu’une forme très primitive de conscience se trouvait répandu à travers la nature. C’est pour l’homme un immense avantage biologique qui lui permet de faire face aux changements.

La Noosphère ne forme qu’un impalpable et fin tissu (mais de plus en plus serré) de relations à la surface de notre planète, où la Biosphère (c’est-à-dire l’ensemble des vivants et de ce qui les fait vivre) n’est elle-même qu’une couche presque imperceptible. Ainsi procède la nature : plus les substances chimiques sont complexes, plus elles sont rares (et récentes), dispersées dans l’espace par la fournaise des plus grosses étoiles quand celles-ci explosent. Encore plus rares sont les organismes vivants, plus vulnérables, exposés à la dissolution. Plus rares enfin les êtres humains ; et exceptionnels ceux qui, parmi eux, sont suffisamment éveillés pour se donner la peine de réfléchir. Alors, quand ils réfléchissent, comment ne seraient-ils pas saisis d’un immense respect pour leurs frères humains, ces étranges et sublimes produits d’une Évolution qui a mis quinze milliards d’années pour les mettre au monde !

Nous avons donc des capacités sous-exploitées pour évoluer dans l’incertitude. Nous échangerons sur ces capacités, qui préfigurent notre prochain niveau de conscience.

Partout la présence humaine s’effacera devant la machine […] les automatismes détruisent la conscience en la rendant inutiles : dès qu’un réflexe s’est durci, la conscience se retire ; elle va intervenir ailleurs, sur la ligne de front, là où les mécanismes ne sont pas encore montés, là où elle est indispensable […] les automatismes libérent la conscience pour de nouvelles recherches créatrices. L’automatisation est vue par Teilhard comme une chance pour nous permettre d’identifier nos talents. Comment l’automatisation et l’IA vont-elles influencer notre conscience ?

Pour évoquer Teilhard de Chardin, la noosphère et l’importance du langage, nous commencerons ces entretiens avec Pierre Lévy. Pierre est un philosophe, sociologue et chercheur en sciences de l’information et de la communication (SIC) français qui étudie l’impact d’Internet sur la société, les humanités numériques et le virtuel. Pierre est intéressé par les ordinateurs et Internet, en tant que moyens capables d’augmenter non seulement les capacités de coopération de l’espèce humaine dans son ensemble, mais également celles des collectifs tels que associations, entreprises, collectivités locales, groupes d’affinités. Il soutient qu’en tant que moyen, la fin la plus élevée d’Internet est l’intelligence collective. En 2006, Pierre a lancé le projet information economy meta language ou IEML : il vise à créer une langue artificielle conçue pour être simultanément manipulable de manière optimale par les ordinateurs et capable d’exprimer les nuances sémantiques et pragmatiques des langues naturelles. Ce métalangage peut notamment servir à la gestion des connaissances et à l’adressage sémantique des données numériques. L’IEML serait le premier langage pour « se voir » échanger sur des idées et des concepts dans toutes les langues, toutes les cultures.

Nous serons à Montréal pour rencontrer Pierre qui est en train de produire l’IEML.

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